J 211 à 222 / de Xichang à Mohan / 714 km
- 01/11/16 Xichang – qqpart = 90 km / + 720m
- 02/11/16 … – 50km avant Panzhihua = 95 km / + 1280m
- 03/11/16 … – Panzhihua = 46 km / + 530m
- 04/11/16 … – Yongren = 89 km / + 1550 m
- 05/11/16 … – Kunming = 20 km à vélo + 220 km en bus
- 06/11/16 … – Pu’er = 16 km à vélo + 400 km en bus
- 07 & 08 Pu’er = Repos
- 09/11/16 … – Dadugang = 72 km / + 700 m
- 10/11/16 … – Mengyangzhen = 52 km / + 440 m
- 11/11/16 … – Menglun = 52 km / + 350 m
- 12/11/16 … – Mengla = 80 km / + 1200 m
- 13/11/16 … – Mohan = 50 km / + 500 m
Oh putain le retard dans le récit, j’vais jamais me souvenir de tout !
- « Ophélie, mon chaton, on a fait quoi ces 13 derniers jours ?
- Bah du vélo, blaireau. Et un peu de bus.
- Ah oui, c’est vrai, suis-je bête, pardon de t’avoir dérangé. Dois-je continuer à te masser les mollets ? Je commence à avoir mal aux doigts, ça fait 3h quand même.
- Fermes-là
- Mais, ma douce licorne, j’ai le blog à mettre à jour et tout et tout…
- T’as toute la nuit pour le faire tête de nœud
- Oh. Je comptais dormir mais c’est une bonne idée. Tu es formidable !
- Tu feras ça dans les chiottes, je veux pas entendre tes sales doigts taper sur le clavier.
- Super ! Dommage que ça soit des chiottes à la turc mais super !
- Et n’oublies pas de graisser ma chaîne et de réparer ma crevaison lente, j’veux qu’on parte aux aurores demain matin. Réveille-moi à 10h. Je prendrais des croissants au p’tit dej’
- Génial ! Heu, pour les croissants, ça va être compliqué, on est en Chine mon lapin
- Tu te démerdes. Si t’en trouves pas, prends-moi un moka au café
- Ah ah ah ah ah ah, tu es si drôle poussinou !
- Je ne plaisante pas. »
Voilà, fin de cette petite parenthèse sur mon quotidien de « tyran ».
On avait terminé l’article précédent sur : « … on sera content de remonter sur les vélos demain pour de nouvelles côtes, quelques coups de klaxons, un temps ensoleillé, des gens souriants qui font coucou et, rêvons un peu, des beaux coins de bivouac. »
Et PAF, on a tapé dans le mille ! Beau temps, gens sympas, presque plus de klaxons et 2 bivouacs d’affilé ! Et les 2 en bord de rivière où on a pu se laver. C’était des affluents à l’eau bien clair, on n’a pas osé le faire dans la grosse rivière, pas sûr que le mercure, le cyanure et les pesticides soient très bon pour la peau.
La route est agréable (pour les yeux, un peu moins pour les cuisses), on traverse des petits bleds, tantôt animés par des marchés de fruits et légumes, tantôt amorphes à l’heure de la sieste. Plus on descend vers le sud, moins le chinois est actif semble-t’il. Un chinois qui fait la sieste, vous vous rendez compte ? C’est comme si on disait « un coréen qui bosse moins de 60h par semaine » ou « un Texan qui n’aime pas les armes ».
Dans un resto, Ophélie, hésitante, demande un « Chao Fan » (riz sauté). La nana fait oui de la tête, elle a compris direct! Ophélie est trop fier et confirme que c’est pour nous 2. Et hop, un double-échec de plus, on se retrouve avec de la viande et des tripes dans un bouillon avec de la salade. J’ai la dalle alors je bouffe tout, Ophélie se contente d’un bol de riz. Un classique.
Après ces 2 bivouacs, on arrive à Panzhihua, ville sans intérêt hormis une steackhouse où on se tape un bon bout de viande, des frites et avec un verre de rouge. On passe l’après-midi à comater sous la clim de l’hôtel.
Le lendemain, on se mange une grosse étape. Openrunner indiquait un col à 1600m ; prévoyants, on fait le plein de fruits et d’eau à 1000m et on sort notre grande phrase habituelle qui nous porte la poisse :« dès qu’on trouve un coin sympa, on s’arrête ». On trouve rien, le paysage est superbe mais rien n’est plat ou tout est cultivé. Et ça monte, ça monte… 1200m… 1400…1600…1700… c’est quoi ce bordel ?…1800… 1900m… c’est bon on y est… ah non, ça monte encore là-bas, grouille, il va faire nuit… 2000m, ça y est !… On entre dans le Yunnan ! Oh regardes Ophélie, elle est sympa cette aire de repos, y’a des tables, on pourrait bivouaquer… grmbl grmbl grmbl, j’veux une douche moi, steuplé, y’a plus qu’à descendre… ok, on descend… 15 km, la fin dans le noir, heureusement qu’il n’y avait pas de nid-de-poule, on ne voyait plus rien.
On trouve un hôtel juste à l’entrée de la ville, montons les sacoches et filons dans un boui-boui-riz-à-volonté. Pfffiiou, grosse journée avec plus de 7h de pédalage, j’ai un début de douleur dans les rotules. Ophélie a la pêche en ce moment, on dirait un lapin Duracell, jamais vraiment fatiguée (sauf quand je chante en chinois).

Photo prise à Xichang
On repart au matin, les jambes sont ok pour attaquer le dénivelé et les quelques jours de vélo qui nous séparent de Kunming où l’on compte prendre un bus. Mais on se rend compte qu’on a eu, comme souvent, les yeux plus gros que les cuisses et qu’on risque d’être un peu short pour être à Chiang Mai à la fin de l’année sans avoir à bourriner tous les jours à travers le Laos et la Thaïlande. Ça serait dommage de ne pas pouvoir glander un peu dans ces beaux endroits. Donc en passant devant le terminal de bus de Yongren, on décide subitement d’y aller et de prendre un bus pour Kunming, s’épargnant 4 ou 5 jours de vélo. Heureusement qu’on n’a pas vu le bus avant de prendre nos tickets sinon on aurait fait demi-tour. Il est tout petit et notre bardas remplis presque toute la soute, on pensait pas que ça pouvait rentrer, mais si !
3h plus tard, nous sommes à Kunming, capitale du Yunnan, 5 500 000 habitants. Nous qui n’aimons pas les grandes villes, on apprécie celles de Chine dans lesquels il est aisé de circuler à vélo grâce aux voies dédiées. La ville est gigantesque et on pédale 18 km pour aller de la gare au nord au centre-ville. On tente l’auberge de jeunesse conseillé dans les guides : hôtesse parlant anglais, quelques backpackers sur leur smartphones, déco trop hype et lits en dortoir. Le tout pour le prix d’un hôtel. Donc hôtel. On en tente 2 ou 3 où on se voit refuser, ils ne disent pas pourquoi, ils font juste non-non-non avec la main, ça me rend dingue, je sais que c’est pas leur faute, qu’ils n’ont peut-être pas d’autorisation pour accueillir les « aliens » mais ça me rend dingue. Je pars en levant les 2 pouces et en lâchant un très cynique « Welcome in China ». Le cynisme n’existe pas ici, alors ils me sourient en faisant coucou et ça m’énerve encore plus.
On finit par en trouver un au bout d’une ruelle pleine de petit restos et comme on a une dalle pas possible, on va dans 2 différents : raviolis fourrés dans le premier et omelette-tofu-frites-riz dans l’autre. Oui, j’ai une mémoire très sélective, la bouffe d’abord, ensuite les bivouacs, le reste s’efface très vite.
Dans cette même ruelle, on peut déguster d’autres mets locaux comme des insectes grillés ou du clébard. Donc oui : ils bouffent bien du chien les chinois ! Jusque là, on n’avait vu que des indices comme des chiots dodus en cage ou des photos de bergers allemands dans des boucheries. Malgré ma répugnance pour les animaux morts, vous me connaissez, j’ai bien regardé et ça ressemble beaucoup à de l’agneau. J’ai pas goutté, je n’avais plus faim mais ça a l’air bon. Pour les insectes, on aura d’autres occasions de tester mais je pense que ça n’a que le goût de l’huile dans laquelle ils ont grillés.

Aller, donne la papatte ! Voilà, bon chien ! Très bon chien !
Le lendemain, 16 km pour rejoindre le terminal de bus au sud de la ville, ça roule tout seul dans ce flot de scooters électriques. Les bus sont grands et les vélos rentrent dans les soutes sans avoir à jouer à Tetris. 6h plus tard, nous débarquons à Pu’er, ville à taille humaine où nous décidons de rester 3 nuits. La ville n’a rien de particulier mais , attention, liste numérotée, j’adore, ça faisait longtemps :
- Grosses étapes + Bus = Fred a des rotules en verre pilé. J’avais déjà eu ça une fois au Chili et ça n’avait pas empêché d’envoyer du lourd ensuite sur la Careterra Australe. Donc pas d’inquiétude, un peu de repos, bien s’hydrater et c’est reparti.
- Il pleut, la mousson s’attarde cette année, ça ne motive pas
- Le petit dej’ de l’hôtel est inclus. Ça pèse encore plus lourd dans la balance que les douleurs aux genoux, j’aurais dû le mettre en numéro 1
- La ville n’a pas grand intérêt mais elle est agréable, y’a des palmiers et un Walmart. Oui, on a honte d’aller au Walmart mais c’est le seul endroit où on trouve notre kit de survie : pain, beurre de cacahuète, pâtes, sauce tomate et fromage si on a de la chance.
- Les vêtements mettent du temps à sécher. Ophélie a développé une psychose depuis qu’on est en région tropicale humide, elle passe environ 70 % de son temps à s’inquiéter du séchage de la lessive. Les 30 % restant restent sur les classiques « vais-je bien manger ? » et « vais-je bien dormir ? ».
On repart donc en forme mais, pour moi, le voyage s’arrête là. Il ne m’est plus possible de pédaler et encore moins de monter des côtes, je ne peux plus, c’est fini. Tant pis pour la suite de notre parenthèse nomade, tant pis pour le Laos, tant pis pour la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam, c’est fini, faut qu’on rentre. Ophélie essaye de me convaincre que c’est possible, qu’il faut que je m’accroche, qu’on ne peut pas abandonner comme ça, bordel. Mais c’est trop dure, je n’y arriverais pas ! J’veux bien en chier mais y’a des limites !
Mes genoux ? Non, ils vont très bien merci. La vérité est bien pire :
MON COMPTEUR NE MARCHE PLUS !!
Je suis anéanti, le câble a été abîmé dans une soute de bus et le compteur reste muet malgré mes réparations. C’est la fin du monde. On s’en fout du voyage, des paysages, des rencontres et de la bouffe, y’a que les kilomètres qui comptent vraiment, à quelle vitesse on roule, combien on grimpe, tout ça. Le compteur d’Ophélie est déjà HS depuis 1 mois, et il faisait pas altimètre alors on s’en fout aussi.
Mais j’ai finalement surmonté l’épreuve et ravaler mes larmes, comme un guerrier, un vrai. Y’a des choses pires que ça dans la vie, très peu, mais y’en a. Aller, on continue. J’aurais un nouveau câble dans quelques semaines, cadeau du fabriquant.
- « C’est bon lapinou,on peut repartir, j’vais mettre le GPS à la place, ça donne les kilomètres et la vitesse, au top.
- T’es trop con
- Ne dis plus ce mot s’il te plaît, ça me rappelle mon compteur OINNNNNNNN !!! »
De là, on enchaîne 3 étapes sous la pluie. On déteste la pluie, on déteste enfiler nos vestes « imper-respirantes », on déteste se prendre la boue envoyée par la roue arrière de l’enfoiré(e) en Azub 5 qui roule devant. Mais on s’y fait, on roule au milieu des ficus, des palmiers, des lianes, des bananiers et de toutes cette flore composant la jungle. La route est belle et serpente le long de rivières. Malgré des murets de rétention, de la boue rouge envahi par endroit la chaussée et met à l’agonie nos transmissions et nos patins de frein, tout neufs, pour ceux qui suivent. Voilà, j’étais super fier d’avoir claqué 8500 km avec les précédents, ceux-là n’en feront pas plus de 500 si on se tape encore cette boue abrasive.
On s’arrête le minimum, quand ton slip est mouillé, faut pas refroidir même s’il fait 20°C et que la pluie est tiède.

rencontre avec des cyclistes chinois lors d’une accalmie
Ça serait un cauchemar ambiance Rambo si on devait camper dans ces conditions et on est bien content de croiser des hôtels pas chers régulièrement. Les gérants ne disent rien quand on débarque dans les halls étincelants avec nos sacoches dégoulinantes de bouillasse et nos sandales qui font pouic-pouic, osant même négocier le prix de la chambre. Ce pouic-pouic, ça casse complètement l’image de l’aventurier à vélo, faudra qu’on trouve une solution.

je m’échappe in extremis de ce traquenard alcoolisé
Tous les soirs, on regarde la météo, espérant un changement. Mais on dirait qu’on va faire pouic-pouic jusqu’à la fin des temps. Ophélie est désespérée, RIEN NE SECHE ! C’est horrible !

pas de détecteur de fumée, c’est bon, on peut cuisiner dans la chambre. La petite balayette est très pratique pour laver la vaisselle.
Mais le ciel se dégage et ça devient bien plus plaisant de pédaler sous le soleil. Je repense encore à mon compteur, compteurinou comme je l’appelais affectueusement. Il y a un vide sur mon guidon, à l’emplacement où il était. Je me surprend à caresser du bout du doigt cet endroit, entre le levier de vitesse et le rétroviseur, le cœur emplie de nostalgie. Chienne de vie !
On se fait une belle étape jusqu’à Mengla avec pas mal de travaux sur la route et quelques tunnels dont un qui restera dans les annales : 3 km, en montée, non ventilé et non éclairé sur une bonne partie. On ne faisait pas trop les malins avec nos petites lampes frontales mais il semble que les camions nous aient vu, sinon je serais pas là pour vous raconter nos vacances à vélo. Le soir, on se mouchera noir, preuve que le nez est un filtre formidable. Si un jour je me mets à fumer, ça sera par le nez, je serais sûr de ne pas choper un cancer. Incroyable que personne n’y ait pensé avant.
Une dernière demi-étape nous amène à Mohan, ville frontière avec le Laos. Il est tôt, on pourrait passer la douane et filer plus loin mais on veut passer un dernier moment en Chine. On a vu plein de petits resto sympa, ça nous incite beaucoup. Comme on a presque rien mangé pour midi, on se lâche le soir avec 2 plats chacun, excellents : une soupe de noodles pleine de bon glutamate, puis un plat de riz aux légumes pour Ophélie et un délicieux poisson assaisonné pour Bibi. Un bon gros mollard en sortant de table et voilà une belle façon de quitter la Chine.
BILAN SUR LA CHINE
Z’avez qu’à lire les articles, je crois qu’il est assez clair qu’on a plutôt passé du bon temps, que les gens étaient sympas malgré la barrière de la langue et qu’on a mangé 2 ou 3 trucs intéressants. Le pays est immense, on sait bien qu’on n’a fait que le survoler. Les cultures sont riches et variées, nous ne les avons qu’appréhender. La cuisine est incroyable, nous n’y avons que trempé le bout des lèvres. Les chinois ont été parfois horripilants, nous ne les avons pas frappés.
Enfin , quelques chiffres en la mémoire de compteurinou :
- 49 jours dont 31 sur les vélos
- 2036 km à travers le Xichiang, le Sichuan et le Yunnan
- 17200 m de D+
- 1 animal mort (le mouton flottant)
- 2 oreilles gauches toujours sifflantes à cause des klaxons
- 4532 photos et vidéos de nous sur des smartphones. Le chiffre est approximatif, certains nous filmaient discrètement. Le chinois est fourbe.
FIN DU BILAN SUR LA CHINE
Nous avons quitté ce grand pays il y a quelques jours. En entrant au Laos, marchant à côté de son destrier, Ophélie a enfin vécu un moment qu’elle attendait depuis longtemps, un rêve de petite fille : arriver à pied, par la Chine.
L’article commençant par « oh putain », il me paraissait important de finir sur une note un peu plus classe.
A bientôt pour la suite.
PORTRAIT
Tiens, on va tester une nouvelle rubrique dans le blog : le portrait. Un truc sérieux qui parle des gens du cru.
Aujourd’hui, on vous présente Lee Yang, vendeur de pneus avant de scooter, 48 ans. Ou peut-être bien 64. Dans son village de 130 habitants, ils sont 78 à s’appeler comme ça et lors des rassemblements, ça créé des situations ubuesques :
- » Quelqu’un a vu Lee Yang ?
- C’est pas toi Lee Yang ?
- Je suis là au fond !
- Je l’ai vu, il était près de la rivière avec Lee Yang
- Oui, que me veux-tu l’ami ?
- Bah, il est pas mort y’a 3 ans ?
- Il dort encore, il a bu tout son biberon à midi
- Ah tiens, le voilà qui arrive avec Lee Yang et Lee Yang
- Il est parti mangé chez Lee Yang il me semble, il était avec Phong Tao
- Sûrement pas, c’est moins Phong Tao !
- Moi aussi !
- Oh putain ! Vous me gavez, j’me casse !
- Oh… bah salut Phong Yang, à la prochaine
- Bordel ! Moi c’est Lee Tao ! «
Notre Lee Yang a sa petite histoire à lui cependant. En Octobre-Novembre 2000, un concours de circonstance a fait que lui et ses potes ont suivi l’élection présidentielle américaine. Ça le faisait bien marrer Lee, la plus grande puissance du monde en train d’élire un planteur de cacahuète attardé et toute sa clique de vendeur de conflits internationaux. Et encore plus aux élections de 2004 quand ils remettent ça, à coup de YEEHAA ! comme fondement de leur politique étrangère.
Lee et ses potes boivent un peu trop ce soir là, les vannes fusent :
- » Non mais pourquoi pas élire Mickey Mouse aussi ?!
- Dingo s’en sortirait même mieux !
- Oui, ou même Donald ! Il dit que des conneries en postillonnant !
Lee est mort de rire et lâche : » Eeeee Eeeee Eeeee (rire chinois) ! le jour où Donald est élu, j’veux bien m’arracher l’œil gauche ! »
Il a tenu parole.