Du Sushi au Bortsch – les Pieds en Russie

J 439 à 444 / Sakaiminato à Vladivostok / du 17 au 22 juin 2017

 

Facilement reconnaissable à sa grosse tête ronde et sa face aplatie, le coréen ressemble beaucoup à un chinois, ou à un japonais ayant pique-niqué un peu trop près de Fukushima. Comme les gnous, ils sont bruyants et se déplacent en troupeau compact, aveugle et pressé. Très pressé. Son plus grand prédateur, le panardos sauvage, roi du bitume au tempérament relativement asocial, est immédiatement désarmé par le nombre et l’invasion soudaine de son territoire : la salle d’attente du ferry.

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Après 10 semaines au pays du calme et du civisme, son instinct de survie est anesthésié, relégué au rang de fonctions inutiles telles que «se battre pour sa place dans la file d’attente» ou «donner un coup de coude à la connasse qui pousse dans le dos». Non, le panardos se contente de feuler dans son coin, acculé, menaçant simplement de ses dents de pédalier les jarrets et valises passant trop près. Mais même ses dents ne font plus peur, trop propres, nettoyées qu’elles ont été du terrible sang de l’effort : le cambouis.

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La femelle panardos se terre dans un fauteuil, le regard affolé, les aisselles moites, repensant déjà avec nostalgie à l’île de la zénitude dont elle est chassée sans même l’avoir encore quitté.

Le mâle panardos, qui n’a du lion que l’odeur et le signe zodiacale, se laisse pathétiquement flatter la crinière par une coréenne lui disant qu’il a de beaux yeux. Et il ronronne ce con. Il ne pense même pas à balancer des petits jets d’urine vicieux pour marquer son territoire.

Bref, notre séjour au Japon se termine d’un coup, sans transition grâce à ce troupeau de touristes coréens, équipés comme s’ils venaient de grimper l’Everest et excités comme une blogueuse mode devant la nouvelle collection printemps-été de Pimkie. C’est vraiment des bourrins ces coréens, ils embarquent dans un ferry aux places réservées et numérotées comme si c’était le dernier métro. De toute manière, qu’est-ce qui ne paraîtrait pas rustre et chaotique après un pays comme le Japon ?

 


BILAN JAPON

  • Surprenant, un paradis du voyage à vélo. Surpeuplé sur le papier, sauvage, calme et préservé en réalité. Routes très tranquilles et pistes cyclables très fréquentes. Le pays est beau, propre, verdoyant. Notre parcours nous a fait découvrir un pays de pêcheur, l’image très urbanisée qu’on peut avoir du Japon fait oublier que c’est une île toute en longueur et qu’on est très rarement à plus de 100 km de la mer ou de l’océan. Et bordel ce qu’elle est belle la côte, impossible de s’en lasser.
  • Des gens souriants, polis, très accueillants, profondément gentils et généreux. En tant que blancs, de surcroît sur des vélos de cirque, on est des stars. En dehors d’Hiroshima et Kyoto, nous n’avons vu presque aucun gaijin et seulement 5 ou 6 voyageurs à vélo. En 2 mois et demi, c’est très peu.
  • Des convenients stores (épiceries) un peu partout qui rendent le voyage confortable : eau bouillante à disposition, toilettes du futur avec cuvette chauffante et jets coquins, wifi gratuit et parfois tables et chaises pour pique-nique de luxe sous la climatisation.
  • De l’eau du robinet potable, partout !
  • De nombreux parcs publiques où l’on peut camper sans problème. Toilettes propres, toujours. Et des douches parfois en bord de plage. En fait c’est presque des campings gratuit tellement c’est bien foutu.
  • Une météo presque parfaite de début avril à mi-juin. Le presque est pour les 6 jours de pluie. Nuits fraîches, journées chaudes mais pas trop.
  • Pas si cher qu’on le croit, nous avons dépensé moins de 28 € / jour en moyenne pour 2 tout compris (logement, bouffe et transport dans le pays) et sans se priver sur la bouffe et un peu de confort. On faisait nos courses le plus possible dans les supermarchés discount et trouvions parfois en route des fruits et légumes aux prix acceptables. Ceci dit, on a souvent mangé la même chose : pain de mie le matin, sandwich au pain de mie le midi et spaghetti le soir. Nous n’avons pas trouvé de flocons d’avoine, c’est sans conteste le plus gros défaut de ce pays. Et leur beurre de cacahuète est dégueulasse, j’étais furax.

En chiffre :

  • 3407 km et 25 000 m de grimpette
  • 74 jours dont 55 sur les biclous
  • 37 bivouacs de psychopathe + 10 nuits en accueil + 15 en camping + 10 en AirBnB
  • 2 ours, dont 1 mort dans un supermarché discount. L’autre court encore, traumatisé.

 

Suite du récit

On découvre également nos premiers russes. Après 8 mois et demi en Asie, on les trouve grands, costauds et très hétérogènes, forcément. Certains ont des vrais têtes de truand, genre Vladimir Poutine, mais en pantacourt. Du coup ça rassure, on peut pas être méchant avec un pantacourt, c’est pas crédible. C’est comme une Kalachnikov rose.

Des têtes de légionnaires, de petites frappes, des regards bleus acier, des traits durs taillés à la serpe, des nez cassés à la Belmondo, des mines renfrognés, parfois des cernes, peu de sourires. Ça fait un peu cliché mais c’est frappant. Les asiatiques ont presque tous des têtes de gentil, même Kim Jong-un ne fait pas vraiment flipper, et globalement le sourire facile. Nos perceptions ont besoin d’un étalonnage. J’imagine le choc pour ceux qui passent directement de la Thaïlande au RER parisien ou à la banlieue de Cologne sous la grisaille, y’a de quoi vomir son goûter.

P1120585On finit par embarquer dans le ferry, en tout dernier, pas la force de se battre, pas la peine. Les vélos voyageront en soute dans un conteneur pour les bagages volumineux. On rejoint notre cabine, dortoir de 8 qu’on partage avec des russes – ouf – on préfère ça aux gnous. Ils sont sur leurs smartphones et répondent à peine à notre bonjour-hello-priviet. Le Japon est déjà bien loin. Mais il ne faut pas se fier aux 1ere apparences, pas avec les russes. On fait vite connaissance avec les sympathiques Andrei et Igor, ils parlent un peu anglais et ont un petit business de moteur de bateau d’occasion entre le Japon et Vladivostok. Le made in Japan, même d’occasion, reste bien plus qualitatif qu’un tas de boulon soviétique.

On mange nos nouilles instantanées pendant qu’une déferlante de gnous s’abat sur le restaurant de bord. Après c’est la douche, façon onsen japonais, tous à poil dans la même pièce avec bassin d’eau brûlante, douches et une vue magnifique sur la mer. Je me douche avec des jeunes coréens d’une école militaire. Ne comptez pas sur moi pour dévoiler leur intimité. Bon, m’enfin juste un indice : bouchon de champagne.

Le lendemain midi, l’Eastern Dream fait une escale de quelques heures à Donghae en Gnoulie, plus connue sous le nom de Corée du Sud; à ne surtout pas confondre, mais alors surtout pas, avec la Missilie, plus au nord. On décide de rester à bord, le port n’invite pas à la balade champêtre et la ville est trop loin. Le bateau est calme, on profite avant la nouvelle fournée de coréens.

Bizarrement, nous changeons de cabine et passerons la 2eme nuit dans un grand dortoir d’une quarantaine de lit.

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comme chez les putes, on tire le rideau et on se couche

Le soir, un russe veut nous payer le dîner au restaurant. On refuse, on a plein de sachets de nouilles. Mais il insiste, il dit qu’on a besoin d’une bonne nourriture pour être fort sur les vélos. Ok, il nous prend par les sentiments, nous acceptons et défonçons le buffet à volonté.

Ce russe, c’est le tout premier qu’on a rencontré dans le terminal du ferry au Japon. Mine terne et triste, yeux fatigués, presque un vampire. Il ne faut pas se fier aux 1eres apparences, surtout pas avec les russes. Pour les touristes coréens, on peut en revanche, pas de soucis. On a pu les admirer boire de la bière dès 7h du matin, c’est bien des bourrins. Hmmmmmmmm que c’est bon de stigmatiser et généraliser !!

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Le ferry accoste à 14h à Vladivostok, ville de bout du monde sans le charme d’un Ushuaïa ou d’un Saint-Germain-du-Teil, mais dont les grands ponts, les nombreux navires commerciaux, la brume et les rues en pente forte font inévitablement penser à San Francisco. Les nanas à la douane ne sont que 3 ou 4, on poireaute un moment dans le ferry avant de pouvoir descendre et récupérer les vélocipèdes sur le quai. Un jeune garçon manqué russe vide une bouteille de vodka pour patienter, elle l’avait commencé ce matin, son visage bouffi témoigne d’un entraînement intensif.

Passeport en règle (on flippe toujours un peu dans ces moments), passage des sacs aux rayons X et – grande première – chien renifleur. La pauvre bête a dû souffrir au niveau de la sacoche vêtement.

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Nous voilà enfin en Russie, il est 18h. Egor (prononcé Yégor) est notre hôte warmshower et a eu la grande gentillesse de venir nous chercher et de nous attendre pendant 1 heure. On charge les sacoches dans son petit 4×4 et le suivons dans le dédale de rue en pente. Donc oui, pas mal de ressemblance avec San Francisco, mais en version discount : vieux immeubles délabrés et routes défoncées.

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Le trafic intense des sorties de bureau nous empêche de contourner les chaos, on se fait bien secouer par la chaussée et frôler par les bagnoles. On roule à nouveau à droite (c’était à gauche au Japon) et sommes surpris de voir les volants toujours à droite. Tout est à droite, comme la politique en France. Explication d’Egor : 99% des voitures de Vladivostok sont des occases nippones, la même histoire que pour les moteurs de bateau.

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On arrive à destination dans un quartier d’habitation pittoresque. On adore, on est tout de suite dans le bain, dans l’ex URSS, dans un nouveau monde, entre le marteau et la faucille, excitant. Digicode mécanique, façades délabrées, linge séchant dehors, portes en acier, austérité carcérale.IMG_4077

On salue les gens d’une inclination de la tête, vieux réflexe asiatique dont il va falloir se débarrasser, on nous regarde bizarrement.

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Egor nous confie les clefs, il habite chez sa copine et on sera chez nous pendant 3 jours, génial. Wifi, cuisine équipée et lave-linge qui fait la petite musique à la fin. Egor retourne à son atelier de réparation de vélo, activité dans laquelle il s’est lancé après un voyage à 2 roues entre l’Indonésie et la Chine. Il est très occupé,on ne le reverra qu’à notre départ. Il bosse pas mal sur des vélos chinois, genre Merida, même neufs y’a des truc à réparer ou bricoler. Ce qui est un point commun avec la plupart des vélo-couchés, soit dit en passant.

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En allant faire nos courses dans la rue, on retrouve des choses de l’Asie Centrale : les même cordonniers, les mêmes petits kiosques vendant n’importe quoi, le même pain, le même fromage (sauf les petites boules blanches atomiques d’Ouzbekistan), les même biscuits, le même choix pléthorique de Vodka, les même sardines en boîte… M’enfin tu crois que c’est des sardines et quand tu l’ouvres quelques jours plus tard dans le transsibérien, tu tombes sur des espèces de doigts de bébés. Très bon.IMG_4160 On retrouve avec joie des stands de rue vendant fruits et légumes à des prix normaux, mais aussi des poissons séchés qu’on n’a pas encore osé goûter. Des mots reviennent en mémoire pour Ophélie, la mienne est désespérante. «Vada» pour l’eau « Piva » pour la bière, «spasiba» pour dire merci, «a din» pour «un», «tva» pour «deux», «shiott» pour «l’addition». Voilà, c’est à peu près tout. On retrouve aussi le «At Kouda ? = «d’ou es-tu», LA question qu’on avait eu de Ouzbékistan au Kazakhstan.

 

On passe la journée du lendemain à stresser comme des fous au sujet du transport des vélos. On consulte des blogs de voyageurs (je déteste faire ça !!!) et imaginons le Tetris impossible que serait le chargement de nos tanks au-dessus des couchettes dans le train. Et pourtant j’étais vraiment un dieu du Tetris sur la GameBoy, concerts de violons et décollages de fusée. On se voit déjà en train de se faire cracher dessus par le contrôleur (genre Zangief dans Streetfighter) et lyncher par nos compagnons de couchette parce qu’on prend toute la place, parce que le petit Vladimir s’est pris un coup de pédale dans la gueule et que le guidon a cassé le bocal de cornichons molossol d’Evgenia, la babouchka de 120 kg au regard mauvais et au menton poilu, celle qui faut absolument pas faire chier. Egor va se renseigner à la gare le soir, pour lui y’a pas de soucis, y’a un wagon bagage et on a la faiblesse de le croire alors qu’on sait que c’est extrêmement peu probable. Et effectivement, c’est mort qu’il nous dit au téléphone. On déclenche le plan B, celui qu’on aurait dû mettre a exécution dès le matin, au lieu de se faire un ulcère pour rien.P1120620

Alors on se lève tôt le lendemain et pédalons 7 km jusqu’aux locaux d’une société de fret trouvées sur internet (oui, grâce à un blog de voyageur…). Vladivostok n’est décidément pas du tout une ville de vélo mais c’est folklo et ça nous fait du bien un peu d’action. Le site internet de la compagnie était hyper bien foutu même si complètement en cyrillique. Sur place, c’est différent. On est dans une zone industrielle assez glauque, même au standard russe. Au standard japonais, on pourrait parler de décharge publique post-apocalypse, ambiance rouille et herbes folles.

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On est à la bonne adresse, celle donnée par les coordonnées GPS, et portant il n’y a pas d’écriteau, juste une allée menant à un sorte de terrain vague avec un garde à l’entrée. On avance timidement vers lui et lui expliquons «tlanspoltt velocipete St Petelsboulgue, da ?», très important de rouler les «r». Il nous fait comprendre qu’on doit aller remplir un formulaire («folmoular») vers les hangars au fond de la cour puis aller payer dans les bureaux à côté («Bioulo»). Des gars du dépôt nous accueillent, ils ressemblent à ceux avec qui on bossait dans nos jobs , des gars en or, les moins bien payés tout en étant les plus indispensables dans toute boite logistique : doudounes manches courtes, godasses de sécurité, souriants et très serviables. Ils pèsent et mesurent les vélos puis les sacoches (63 kg en tout) qu’ils ont réunis et scellées dans un grand sac en toile, remplissent le formulaire et dasvidania les vélos !! Petit pincement au cœur mais gros gros soulagement de ne pas avoir à se les trimbaler. Ils iront directement à St Petersbourg, on voyagera léger avec seulement 2 sacoches chacun. Au bioulo, on tombe sur une nana adorable parlant quelques mots d’anglais. On paye 160 €, ce qui est bon marché vue la distance, environ 10 000 km, et surtout les galères en moins. Les vélos arriveront à destination dans 15 jours, et y’a même un tracking. Pour finir, elle nous appelle un taxi en fixant le prix d’avance, nous évitant probablement une belle quenelle. Et voilà, mission accomplie, l’ulcère dégonfle d’un coup et on profite de la journée du lendemain pour se balader dans la ville, sous le soleil, fait assez rare parait-il, et fêter l’anniversaire d’Ophélie, fait annuel.P1120603

Ça fait bizarre de se dire que c’est la 2eme fois qu’on le fête sur la route, c’était à Kars la dernière fois, au nord-est de la Turquie. Il y a peu de restaurants ou alors ils sont bien planqués, on échoue sur la terrasse d’un bar restaurant branchouille ayant l’avantage d’avoir un menu en anglais et des petites couvertures pour se protéger du vent frisquet.

IMG_4114Faut savoir que si Vladivostok est à la même latitude que Perpignan, il y fait tout de même -20°C en hiver. Ophélie opte pour la spécialité locale : hamburger frites et pinte de mojito. Je tente l’aventure du bœuf stroganoff et d’un smoothie aux légumes. Tortoise en dessert, ça sonnait français mais c’est sûrement un truc pour bûcheron sibérien vue la lourdeur du bestiau.

 

IMG_4102Egor passe nous prendre le soir, nous emmène faire un tour en ville et admirer la baie du haut d’un belvédère.

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Vers minuit, il est temps de rejoindre la gare. Sur nos billets, le départ est le 22 juin à 18h mais c’est l’heure de Moscou. Pour Vladivostok, 7 fuseaux horaires plus loin, c’est en fait le 23 juin à 1h du matin.IMG_4110 L’arrivée sera le 29 à 11h, c’est parti pour un séjour sur la plus longue ligne de chemin de fer du monde qui a fêté ses 100 ans le 5 octobre dernier. C’est parti pour 9288 km dans un train mythique à travers la Sibérie. C’est parti pour 7 jours sans douche.


  • Ophélie va-t-elle craquer au bout de 4 jours et se raser le crâne ?
  • Fred va t-il encore vomir après 3 verres de vodka ?
  • Va t-il pulvériser son record du nombre de jour avec le même t-shirt et le même caleçon ?
  • Peux-t-on rigoler avec des russes (sans jouer à la roulette) ?
  • Allons-nous mourir d’ennui entre 2 sachets de noodles ?

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Réponses au prochain épisode.

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Quand l’idéal devient standard

 

J 430 à 439 / de Kyoto à Sakaiminato  / du 08 au 17 juin 2017

  • 9 étapes
  • 568 km et 4200m de D+
  • 7 bivouacs et 2 camping payant
  • Un autre crac et un slip héroïque
  • Une dune et la mer du Japon

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On s’extirpe de Kyoto rapidement, la ville est petite et les berges bien pratiques pour échapper aux feux rouges. La 2×2 voies avec ces tunnels nous est interdite et c’est sur une toute petite route de montagne qu’on se retrouve à grimper du 10%, idéal pour se remettre en jambe.

Je demande à Ophélie si ça roule mieux avec ses nouveaux pneus de course, sa réponse est à mi-chemin entre le «bof» et le meuglement d’un yak malade. C’est pas très enthousiaste un yak malade. Pas évident de sentir une différence entre 4,5 et 4,8 km/h, surtout sans compteur.IMG_3766

On redescend tout ça pour longer le lac Biwa et monter la tente dans un spot 5 étoiles.

IMG_3776IMG_3786Alors que je prépare l’appareil pour ce cliché de nuit, une chauve-souris vient s’écraser sur ma nuque. J’adore ces bestioles, elles sont mignonnes comme tout et bouffent les moustiques. Son sonar a dû être perturbé par les ultra-sons émis par le nettoyeur du capteur de l’appareil photo.P1120447

Des pêcheurs se pointent à 3h du matin, ça ne nous réveille pas d’habitude, le japonais étant aussi discret qu’un ninja. Mais là y’en a une qui ouvre bien fort sa grande gamelle en passant plusieurs fois devant CHEZ NOUS. Dans sa tête, elle a pas fait le lien tente + 3h du matin = gens qui font dodo.IMG_3795

J’ai l’explication le lendemain en me levant : elle n’est pas japonais mais philippine. Sa jovialité et la belle lumière du matin l’ont probablement sauvé de la noyade ou d’un hameçon dans l’œil.IMG_3794

On monte un peu plus au nord, traversons rapidement la ville de Tsuruga et retrouvons la côte. Nous sommes désormais au bord de la mer du Japon et c’est à l’image des autres côtes parcourus jusqu’à maintenant : très beau, peu construit et bordé de pentes arborées. On s’arrêtent très tôt et passons l’après-midi à buller à l’ombre des pins. La baignade est rapide, les méduses trop nombreuses.

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Le coucher de soleil offre des couleurs et des dégradés qu’on ne se rappelle pas avoir vu ailleurs qu’au Japon. Pour nous, c’est finalement le pays du soleil couchant, trop rude de mettre le réveil à 4h30 pour se faire griller la rétine.IMG_3831

Petite étape le lendemain, on est à la ramasse, le vent nous plombe, on n’avance pas.

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On tombe par chance sur un parc aux abords de la ville de Maizuru, avec vue sur le port.

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J’attends que les derniers enfants partent pour me laver en slip au robinet jouxtant les toboggans. Je me dis que ce genre de chose me vaudrait une bonne garde à vue aux USA; heureusement je suis un bon petit blanc, pour un noir c’est direct une balle dans le dos. Légitime défense, le flic dira qu’il a pris le savon pour un flingue, ça arrive à tout le monde.

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Comme on a le temps, on raccourcit les étapes et allongeons le parcours en faisant le tour de la péninsule du Mont Taiko. On s’en félicitera car c’est l’une des plus belle route nippone avec des falaises,  la traversée de vieux villages de pêcheurs et des maisons au plus près de l’eau, pas de tsunami de ce côté de l’île.

2 gars nous arrêtent à un carrefour, ils ont reconnu les drapeaux français à l’arrière de nos trottinettes et on papote. Ils nous offrent une bière, du thé et une glace à l’ananas. La bière à 11h30, à jeun, après 3h de pédalage, c’est génial mais faut vite prévoir une sieste ou une grimpette juste après. On opte pour la grimpette, le devoir avant le plaisir, toujours.IMG_3858

Et le plaisir est facile avec un nouveau bivouac en bord de mer dans un beau petit camping payant mais pas encore ouvert, donc gratuit. La douche froide en plein vent nous fouette le sang.

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On quitte déjà la péninsule le lendemain, la route est en montagne russe et le vent puissant. On stoppe au bout de 43 petits km dans un nouveau parc en bord de plage.P1120517

On a un programme chargé pour le soir car on a acheté des patates, du lait et… du beurre !! Opééééééération Puréééééééééeeeee !!!

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à l’abri du vent

Une tuerie, on en a presque les larmes aux yeux en mangeant. Je conçois que ça peut paraître étrange d’avoir une mi-molle avec de la purée mais allez passer 8 mois en Asie et on en reparle. Le reste de beurre servira le lendemain pour faire frire les œufs et le soir pour les pâtes, magique, vive le beurre, vive le gras.

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J 435 / … Iwaga / 45 km / +560m

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Etape au top entre montagne et plage de sable fin. La route est déserte, on croise un groupe de singe.

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On temporise, 45 km suffisent pour aujourd’hui et ce camping payant/gratuit pour nous tout seul n’incite pas du tout à aller plus loin. Baignade dans des piscines naturelles au milieu d’étonnants rochers plats. Les méduses n’y sont pas admises.P1120547

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Après manger, on file à un «viewpoint» à 300m du camping. 300 c’est bien, 400 on aurait eu la flemme.IMG_3967

PAF dans les yeux, superbe.IMG_3978


Si l’idéal devient standard, on ne se lasse pas pour autant de telles conditions de voyage.


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21h30 – sous la tente – nuit noire

Il fait étonnamment froid ce soir, guère plus de 12°C. Sous le duvet, le sommeil nous gagne très vite, on sombre.

CRAC

J’ouvre les yeux, pas de réactions du côté de la momie à ma droite, elle porte ses bouchons anti-bruit et anti-pêcheuse-philipinne.

CRAC

Non, le nouveau PC va bien, merci, c’est un autre crac,celui d’une branche. Je me redresse et tend l’oreille : des bruits de pas venant de la forêt à une vingtaine de mètre. Des pas lents, assez lourds. Mon rythme cardiaque accélère un peu, je suis complètement réveillé, la momie a senti une tension dans l’air et a relevé son masque de nuit.

Le temps ou on se chiait dessus à cause des sangliers ou des chevreuils est révolu depuis longtemps, je prend la lampe frontale et sort pieds nus, en slip. Tout neuf, acheté à Kyoto chez H&M, une marque presque locale. Très doux, en coton, bon maintient, pas compressif, c’est important.

Faisceau étroit, puissance maximale, la lumière peine à se faufiler à travers les troncs et les branches, tout n’est qu’ombre. Je reste sagement à l’orée, aux aguets, le temps ou je me chiais dessus seul dans la forêt ne risque pas d’être révolu. Les bruits de pas sont toujours là, ma bruyante sortie de tente avec ses 3 km de zips n’a pas fait détaler la bestiole mais il semble qu’elle s’éloigne désormais vers la crête de la colline.

Retour sous le duvet.

  • «C’était quoi ?» (c’est la momie qui parle)
  • «Sûrement un chien viverrin, t’inquiètes, il va se barrer»

Le sommeil d’Ophélie est sacré, je ne lui ai pas encore parlé des nombreuses traces de griffes sur les troncs d’arbres autour de la tente, je sais pas comment elle a fait pour ne pas les voir. En revanche, elle a bien vu le panneau près de la plage avec la gentille tête d’ours, alors elle flippe un peu quand même.IMG_3997

Moi : «Non, si c’est un ours, il sera tout petit, tout le monde est petit en Asie, même les ours. Le seul risque c’est pour les sacoches de bouffe restées sur les vélos. De toute façon, il s’éloigne, fais ton dodo».

CRAC CRAC CRAC

  • Momie : «On fait quoi ??? On va se mettre près de la plage ???»
  • Bear Grylls : «Pffffoooouuuu, la flemme de tout plier et déplier. On va attendre un peu»

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Et puis crotte de flûte, on est au Japon, le pays de la qualité et de la sécurité (sauf quelques rares cas anecdotiques de bombardements taquins, de tremblements de terres et de tsunami sur centrales nucléaires à l’épreuve des tsunamis). Les mecs font des écriteaux pour comment s’asseoir aux toilettes, comment se laver les mains et comment monter des escaliers, ils vont pas laisser des ours approcher des campeurs, il doit y avoir des systèmes, des trucs électroniques. Ou bien ils auraient mis des bear boxes comme dans le Yellowstone.

CRAC

Oh putain il était pas loin celui-là !!

ZIIIIIIIIIIIP

ZIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIP

ZIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIP

Je ressort (pied nu, slip), le cœur bat fort cette fois, je marche doucement sur le bitume en m’éloignant de la tente, la foret sur ma droite.

CRAC

Juste en face, j’accélère le pas, je lève la lampe.

Un ours.

A une douzaine de mètre, aucun doute. Sa silhouette se dessine parfaitement et ses yeux brillent, 2 billes rondes entre le jaune et le vert. Il est là, de profil sur la route, on s’observe pendant quelques secondes. Il est plus grand que ce à quoi je m’attendais, mais moins épais, plus svelte. De la taille d’un gros berger allemand mais bien plus charpenté.

Quel moment les amis !!

Je fais un pas timide en avant, il ne bouge pas mais sa posture est celle d’une bête prête à fuir.

Tant mieux, je sais pas ce que j’aurais fait sinon, sûrement courir vers les chiottes en criant «bonne chance» à Ophélie et à la confiture.

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Je ne réfléchis pas trop, il a l’air d’avoir plus peur que moi, je fonce sur lui en levant les bras et en faisant «psssshhhhhtttt» comme on ferait pour chasser un petit chat. Je sais pas pourquoi j’ai pas gueulé un truc plus viril, peut-être que ça m’aurait fait flipper, peut-être qu’Ophélie aurait repeint son sac de couchage.

L’ours détale comme il faut, il est rapide. Il s’arrête pour regarder en arrière. Je cours à nouveau en lui disant «Allé, dégages !!». En français en sans dire STP mais il a compris, s’est enfoncé pour de bon dans sa forêt et les foutus cracs se sont fait vite lointains.

Retour sous la tente.

  • «C’était quoi ?»
  • «Un ours !! Trop bien !! J’ai couru en slip derrière un ours ! J’aurais du prendre l’appareil photo !»

Je tremble de partout, à cause du froid, à cause de l’adrénaline, à cause que c’était un ours en pleine nuit bordel ! Pas gros mais ours quand même !

Là on se dit qu’on va avoir du mal à se rendormir mais même pas. Ophélie remet immédiatement ses bouchons d’oreille, je sais pas comment elle fait pour pas avoir envie de rester un peu en mode sentinelle. Si y’avait un tremblement de terre, elle se contenterait juste de remettre la couverture sur ces épaules.

J’écoute les bruits de la forêt, RAS, mon corps se réchauffe, je m’endort en 5 minutes.

Fin de l’épisode OURS VS SLIP.


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Un peu crevés au réveil quand même, on n’embraye qu’à 9h30. Étape grandiose avec cette route au plus près de la mer et de ses petites îles.P1120558

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Un peu avant Totorri, la route nous mène sur la plus grande dune de sable du Japon. S’il fallait comparer sa taille à celle du Pilat, je dirais que je ne sais pas. C’était plus grand que la Mer de Sable à Ermenonville, ça c’est sûr.IMG_4011 Des mecs proposent des balades en chameaux pour les touristes coréens nombreux sur le site. Je fais la course avec un gosse pour arriver au sommet, je l’ai éclaté mais je lui ai fait un give-me-a-five en haut.IMG_4017

Ophélie est restée en bas, les 700m de D+ bouffés à vélo lui ont suffi. Elle est crevée, en plus j’ai pas arrêté de la saouler toute la matinée avec mes « Moi j’ai couru en slip derrière un ours, moi ».

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On fait quelques kilomètre le long du sable et montons la tente dans un camping gratuit. Nuit calme, RAS, pas d’ours, pas de trolls, pas de vampires,  pas de karaoké vietnamien, rien.

Les 2 dernières étapes sont plates, c’est un peu moins beau, y’a un peu plus de circulation mais ça reste très agréable, surtout avec ce vent de fou dans le dos pour la dernière. Comme si le pays nous souhaitait «bonne route pour la suite les Panardos, revenez quand vous voulez». Ou alors c’était «Cassez-vous de là les gaijins, z’avez assez campés gratos chez moi», on ne le saura jamais.IMG_4038

Sur une aire de repos, un canadien en décapotable vient discuter avec nous, il vit ici depuis 25 ans. Il nous demande ou on dort la nuit, on lui dit sous la tente la plupart du temps. Tiens d’ailleurs on a vu un ours avant-hier. Il nous dit qu’il faut faire gaffe, c’était un ours noir à collier, il y a eu 3 attaques depuis le début de l’année. Non ,mais il était petit le mien, no soucy.

Le soir, je regarde quand même sur le net pour vérifier. Ah ouais… y’en a des méchants.

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Après une nuit dans un camping payant qui a tout l’air fermé donc gratuit mais qui finalement sera payant quand un gars viendra gentiment réclamer son dû (Ophélie réussira à faire diviser le prix par 2 = 5€), on arrive tôt à Sakaiminato et payons 8 € pour se poser au camping de la marina à 3 km du terminal de ferry. L’Eastern Dream ne part que le lendemain après-midi et ça nous laisse le temps de faire les courses en prévision des 2 jours de traversée vers la Russie. On achète une bouteille de vin et des cacahuètes pour se faire un apéro dans le bateau comme à l’aller il y a 10 semaines. Un Chardonnay du Chili, un Alpaga, ça rappelle des trucs.

On la vide le soir même, impossible de résister et ça accompagnait parfaitement les patates sautées avec le fromage fondu (qui avait déjà fondu, refondu et rerefondu ces derniers jours, bien au chaud dans les sacoches noires).

Le matin, après une pancake-party, je fais un grand nettoyage des vélos, enfin juste les chaînes et les jantes, faut pas pousser. C’est en prévision du transsibérien, on ne se sait pas encore comment voyageront les enclumes et ça sent un peu la galère, l’estomac d’Ophélie commence déjà à faire des looping rien qu’en y pensant. Mais s’il faut démonter les bazars, au moins nous garderons les mains propres. Pas les aisselles, c’est certain.

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Dernier repas en mode crevard, il est l’heure de rejoindre le terminal de ferry ou l’on va découvrir une nouvelle variété de gnous :  le coréen. On vous racontera tout ça dans quelques semaines avec le ferry, le train, la Russie, Vladivostok, Moscou et St Saint-Pétersbourg. Presque 3 semaines sans vélo avant de filer dans les forêts finlandaises.IMG_3908

Nom d’une chaîne rouillée, ça nous chiffonne de ne plus pédaler avant début juillet. Tout est tellement plus simple quand on est les pieds devant.

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