27/06/16 Dogubayazit – après Maku (Iran) = 104 km
28/06/16 … – Evoghli = 74 km
29/06/16 … – Marand = 68 km
30/06/16 … – Tabriz = 69 km
01/07/16 Tabriz – Teheran = 650 km en train + 11 km à vélo
De la chaleur, de l’acceuil et des nuits insolites, voici le récits de nos débuts chez les Chiites.
Hop, à 8h nous sommes sur les vélos et quittons Dogubayazit avec vue sur le Mont Ararat qui a bien voulu se débarasser de ses nuages pour nous dire au revoir en beauté. Les sacoches sont pleines, on a claqué nos dernières livres turcs en nourriture comme si les iraniens n’avaient pas d’épiceries pour se ravitailler. On file sur une route déserte au bitume impeccable mais le vent, ce coquin, a également décidé de nous dire au revoir à sa manière, c’est à dire en nous soufflant bien fort dans la face.
A 11 km de la frontière démarre une file de camion sur 2 voies, impressionnant. Les chauffeurs patientent sous le cagnard et nous regardent passer avec de grands yeux. Si on fait un rapide calcul, il y a là plus de 900 semi-remorques attendant de passer la frontière et il n’est que 10h, d’autres camion arrivent et nous n’en verrons aucun passer. On roule donc à contre-sens sur les voies opposées, adoptant déjà le « Iranian driving suicide style ». On en reparlera.
Un coup de tampon de sortie de la Turquie et on arrive côté iranien. Les portraits de l’ayatollah Komeini et d’Ali Khamenei nous font un peu froid dans le dos, ça rigole pas. On dirait des profs d’école à l’ancienne, hyper sévères et autoritaires. Le genre à te faire pisser dessus rien qu’en fronçant un sourcil. Ophélie a pris soin d’enfiler son déguisement « chamelière, reine du désert », ou « Ninja des sables », comme vous voulez. Moi je préfère « enfant de la lune », en rapport avec la maladie génétique pas marrante (bien connue sous le nom de Xeroderma pigmentosum).
Un de militaires tire la tronche et m’explique que la tunique d’Ophélie n’est pas assez longue, qu’elle devrait descendre jusqu’aux genoux. Je lui aurais bien répondu que c’est son cul qui est trop bas mais valait mieux rester diplomate. Il finit pas nous dire « Welcome in Iran » et nous guide au guichet où nos passeports sont rapidement tamponnés. Pas d’interrogatoires, pas de fouilles rectales, pas d’ongles arrachés ni de pinces crocodiles sur les tétons, désolé.
On change 100 dollars contre 3.400.000 rials. Ca y est, on est devenu millionnaire encore plus vite qu’un trader, qu’un actionnaire de Sanofy ou qu’un Balkany. Et sans voler personne !
On remonte sur les vélos et sommes rapidement arrêtés pour être pris en photo par les Iraniens. « Hello, how are you ? Where are your from ? ». C’est mignon et chaleureux même si ça gave un peu en fin de journée. La route descend en pente douce et ça file tout seul. Il y a beaucoup plus de voiture qu’en Turquie et les camions fument encore plus noir. L’essence ne coute que 0,30 centimes d’euro. Vous vous dites que c’est pas cher mais quand on sait que le salaire moyen en Iran est de 350 $, c’est pas donné tout de même.
Les gens klaxonnent et nous saluent, ça n’arrête jamais, on se sent les bienvenus. Enfin surtout moi, en tant qu’homme. Ophélie n’existe plus qu’à moitié dans ce pays.
Le paysage devient rapidement semi-désertique et la T°C monte en flèche. 36°C officiellement, plus de 40°C sur le compteur du vélo. Une chaleur très sèche, assez supportable finalement lorsqu’on roule; à l’arrêt, faut vite trouver de l’ombre. Pendant ces 4 étapes iraniennes, nous boirons environ 5 litres chacun par jour.
En fin d’après-midi, on s’arrête pour faire le plein d’eau à ce qui ressemble à une station service abandonnée. C’est en fait une station de pesage pour les camions dont Ali s’occupe. Il nous sort un broc d’eau de son frigo avec des glaçons, trop sympa. De fil en aiguille, alors qu’on avait prévu d’enquiller 20 ou 30 km de plus, on finit pas planter la tente derrière, se faire offrir du thé, des cerises, des abricots et à papoter. Dans cette partie de l’Iran, les gens parlent turc et ça nous arrange bien. En 6 semaines, on a atteint un niveau incroyable, on connait au moins 10 mots et on sait compter jusqu’à 10 (sauf entre 6 et 8).
On demande si il y a un coin ou on pourrait se laver, genre un robinet à l’abris des regards, un jet d’eau ou même une grande flaque pas trop crade. Ali nous emmène alors dans un endroit magique : un abattoir pour poulets. Ca pue, c’est crade, c’est glauque, plein de mouche et l’eau ne coule que par le robinet. En fait, ça ressemble carrément à une scène du film Saw. Mais on s’en contente largement et ça fait du bien après cette chaleur. Il nous invitera à venir manger avec lui et ses collègues de l’abattoir plus tard mais nous aurons déjà diné, impossible pour nous d’attendre la fin du jeûne (21h30 ici).
Le lendemain, on retourne se faire rotir sur nos vélos. La T°C dépasse 30°C dès 10h et Ophélie se régale sous son foulard et sa double épaisseur de vêtement. Sa tunique, en plus d’être trop courte, est trop transparente pour être portée seule. Mauvais choix.
Pour la pause midi, on se trouve une rivière et ça fait presque pshhiiitttt quand on met les pieds dedans. On essaye d’attendre la fin des heures chaudes mais ça ne sert à rien, la T°C monte jusqu’à 17h puis ne bouge plus jusqu’à 19 ou 20h.
En milieu d’après-midi, on s’arrête devant un Croissant Rouge, une unité d’intervention pour les accidents de la route qui a la réputation d’acceuillir les voyageurs de passage. Il est tôt et, comme la veille, on ne venait que pour faire le plein d’eau avant de continuer. Mais David nous dit qu’on peut rester alors on hésite. Puis il nous montre la pièce qu’on aura pour nous, la douche étincelante et le repas qu’on partagera. Alors on n’hésite pas longtemps.
On fait les présentations et on lui explique que c’était plus commode de s’appeler Mehmet et Aïcha en Turquie. Alors il décide avec le sourire de nous baptiser pour l’Iran, nous sommes désormais Hosein et Zeinab.
On se tape une sieste et mangeons avec eux, assis en tailleur autour d’une nappe posée par terre, à la façon iranienne. Ophélie trouve la soupe trop épicée alors un des gars lui fait une omelette à la tomate. On se couche tard et il fait encore 32°C à 23h30.
Ils sont peinards au Croissant Rouge : 4 gars en permanence, ils sont là 5 jours puis rentrent chez eux pendant 10 jours ! Et ces 2 dernières semaines, ils ne sont intervenus que sur 2 accidents, pour donner les 1ers soins et emmener les victmes à l’hopital. Alors ils passent beaucoup de temps devant leurs PC, la TV ou avec la Playstation.
Ceci dit, sachez que l’Iran a les routes les plus dangereuses du monde avec 17.000 morts et 300.000 blessés en 2014, 20 fois plus que la moyenne mondiale. Ils conduisent n’importe comment, doublent n’importe quand, il n’y a pas de règles. Des voitures nous doublent et freinent à notre niveau pour nous parler pendant qu’une autre dépasse le tout et qu’un camion surchargé avec chauffeur au telephone vient en face. Mais tout est normal, ça n’a l’air d’effrayer personne de finir en purée rouge dans un accident. Pour nous, à vélo, couché de surcroît, ça se passe bien. Les véhicules s’écartent comme il faut et on ne se sent pas en danger du tout.
Le réveil sonne à 5h30 et nous sommes sur les vélos à 6h pour le lever du soleil. On dit au revoir à David et filons pour profiter de qques heures fraîches. C’est de plus en plus sec mais la lumière du matin sublime ce paysage. A flan de montagne, j’aperçois un animal ressemblant drôlement à un puma. Il s’enfuit et j’essaye de le suivre à plus de 35 km/h pour le voir de plus prêt mais il s’évanouit et je n’en tire que ce cliché.
Après recherche sur le net, il pourrait s’agir d’un caracal, le puma ne vivant que sur le continent américain. Ou alors c’était juste un clebs, mais ça fait pas rêver. C’est plus pratique à observer quand ils sont éclatés en bord de route en fait.
Comme on est parti tôt, on arrive avant midi à Marand. On a rendez-vous avec un hôte Warmshower (réseau d’hospitalité pour cyclo) qu’on avait contacté 2 semaines auparavant. Comme on est hyper prévoyant, on n’a pas noté son adresse ni son numéro de telephone. On n’a même pas de telephone. Mais ce mec, Akbar, est presque une légende dans la communauté Warmshower, nous sommes les 778 et 779eme cyclistes qu’il acceuille !
Alors on se pointe comme des fleurs dans la ville et nous arrêtons à un carrefour en se grattant la tête. Un ado à vélo se pointe illico et nous demande en anglais si on a besoin d’aide. On lui explique l’histoire, il passe un coup de fil et Akbar débarque en 5 minutes, alors que nous sommes encerclés d’iraniens curieux. Il nous amène chez lui où nous laissons les vélos et embarquons dans une voiture avec un de ses postes chez qui nous dormirons. Akbar est surveillé par la police qui lui interdit d’acceuilir des touristes, alors il feinte.
Dans son tacot, Mohammad nous conduit à son « cottage » : une espèce de hutte en torchis en haut de la montagne à 2000m, sans eau courante ni electricité, sauf celle produite par un panneau solaire. Waouh, on se croirait à Walden ! Il fait frais, c’est silencieux, la vue est superbe et Mohammad nous prépare un repas avant qu’on s’évanouisse d’hypoglycémie.
On somnole toute l’après-midi et passons une soirée détendue avec des amis à lui. On en apprend un peu plus sur l’Iran, sans oser parler de la drôle de vie des femmes ici. Un sujet brûlant pour nous : avec la Turquie, on était déjà habitué à ne pas en voir beaucoup mais en Iran, on a l’impression d’évoluer dans un monde sans femmes. En 3 jours, nous en avons vu seulement 2 ou 3, bien cachées sous leurs draps noirs.
Que des hommes : dans la rue, sur les terrasses, au volant des voitures, dans les commerces, aux guichets… Notre vision de l’Iran évoluera certainement avec d’autres rencontres, mais cette façon de punir la féminité n’est pour nous qu’une immense et triste mascarade imposé par le régime, rendant les relations homme-femme très malsaines. Comment comprendre ces femmes sous leur tchador noir, se cachant comme si elles avaient honte alors qu’il fait plus de 35°C ?
On passe une nuit dehors et ça valait bien le coup d’être réveillé à 6h pour cette vue là.
Après un petit dej’ offert par Akbar dans un parc, nous reprenons les vélos pour une étape facile vers Tabriz. Apès un col à près de 1800m, c’est 50 km sur une 2×2 voies dont le trafic ne cesse de s’intensifier. On s’arrête sur une aire de repos pour grignoter quand un gars vient nous offrir 2 limonades au citron vert. Il revient 2 minutes après et nous propose carrément un petit déjeuner. On se rapproche de sa voiture, il sort une grande couverture, la glacière, du thé, du pain et nous prépare une omelette sur un réchaud. On est des pachas dans ce pays ! Et heureusement qu’on est encore en plein ramadan !
On arrive ensuite rapidement à Tabriz, 2eme ville du pays. Il y a surement de chouettes choses à voir mais c’est trop grand pour nous, trop de voitures, trop de bruits, trop chaud. Et puis on a rendez-vous à Teheran le lendemain matin, alors on file à la gare, en périphérie, et on passe l’après-midi à l’ombre en attendant le départ du train de nuit. Mauvaise suprise en allant au guichet d’information (ou personne ne parle anglais), les vélos voyageront dans un train de fret qui arrivera 6h après le notre. Bon, c’est pas grave, au moins ils les acceptent, pas comme à la SNCF où il faut chialer devant un contrôleur taciturne.
On embarque donc léger dans notre wagon 1ere classe à 23€ la place où s’installe également un couple iranien. Ils parlent farsi alors la communication est limitée mais ils sont souriants et sortent plein de truc à manger qu’ils partagerons avec nous : fruits et concombres (considéré comme un fruit en Iran), poulet-frite (aaaaahhhh, trop bon !!!) et du thé. De notre côté, nous n’avons à partager que nos pauvres chips dégueux et de l’eau tiédasse.
On déplie les lits et passons une bonne nuit malgré les matelas dures comme du bois, ce qui semble être une constante en Iran. Cerise sur le gateau, le train arrive avec 2h de retard et nos vélos avec 2h d’avance au terminal de fret. A 10h30, nous sommes sur les tanks et bénissons notre GPS pour nous diriger dans cette agglomération gigantesque de 15 millions d’habitants. Nous sommes vendredi, l’équivalent du dimanche en France, donc le trafic est faible, une chance. Le soleil cogne fort et le compteur affichera la T°C record de 48°C (au soleil, au dessus du goudron).
Les iraniens sont hyper serviables et n’hésitent pas à nous prêter leur téléphone lorsque nous cherchons en vain l’adresse de notre hôte et Hadi vient rapidement à notre rencontre. ll est très gentil, c’est la 1ere fois qu’il acceuille des cyclistes. On est comme des coqs en pate, son appart en collocation est très grand, frais et près du métro. Hadi part le lendemain pour une convention d’archéologie en Italie puis ira visiter Paris. Pour l’occasion, il organise une fête le soir même avec plein d’amis.
Les voiles sautent immédiatement, des filles sont en débardeur et personne ne jeûne. On discute longuement avec Sia, prof d’anglais. Il nous explique que la société iranienne est incroyablement contradictoire et il est bien d’accord sur le terme « mascarade ». Il y a 2 mondes : l’extérieur où tout est caché derrière les apparences sous la pression d’un gouvernement non choisi et l’intérieur où les gens font ce qu’ils veulent, fument, mangent, écoutent de la musique, se droguent, dansent… Ils pensent que les choses prendront des décennies à changer car le peuple iranien a, selon lui, une faculté incroyable à subir les choses sans rien dire, jusqu’à l’explosion, comme la révolution de 79. A cette époque, ils voulaient chasser la monarchie du pouvoir. Le fait qu’un régime islamique et tenace l’ait remplacé n’est qu’un concours de circonstance malheureux et subi. Et le vote ne change pas grand-chose car la religion a la main mise sur le pouvoir et ne laisse que peu d’options possibles. Un état laïc est la seule issue mais ça prendra du temps.
Bref, on passe une super soirée, Hadi joue du kamancheh (sorte de violon) pendant que ses amis chantent sans retenue des airs tristes et mélancoliques. Mais peut-être que ça parle de petits lapins qui font des bisous à des papillons, on n’y comprend rien. Ils mettent alors de la musique et tout le monde danse. C’est très bon enfant, et ils n’ont pas besoin d’alcool pour se détendre et s’amuser, contrairement à chez nous la plupart du temps. Ils arriveront même à faire danser les 2 gros coincés que nous sommes et applaudirons Ophélie/Zeinab pour sa salsa orientale.
Ensuite, on mange tous ensemble par terre. Tout est très bon et ça les fait rire quand on leur dit qu’on a jamais vu un repas avalé aussi vite. Si les Turcs mangent avec un lance-pierre, les Iraniens le font avec une catapulte. C’est pas pour nous déplaire.
Il est déjà l’heure pour Hadi de filer à l’aéroport. Il nous laisse ses clefs et nous dit qu’on peut rester 1 semaines sans problèmes, le temps pour nous d’obtenir nos visas pour les pays suivants et pour Ophélie de rembourser une dette de sommeil qu’elle évalue à environ 2 semaines complète. Une normande n’est pas faite pour ce climat. Une normande est faite pour regarder la pluie tomber par 10°C. Une normande est faite pour manger du beurre salé, des galettes saucisses et du camembert au lait cru. Une normande est faite pour dormir 10h par nuit et se réveiller avec 1/2 litres de café noir. Une normande est déboussolée en Iran.
En 5 jours, nous avons eu un condensé d’Iran sans temps morts avec des gens d’une hospitalité confondante. Voyons un eu ce que va donner la suite.

A bientôt
Hosein & Zeinab.