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23/04/17 … – Ochi = 57 km / +400m

Petit repas de bivouac en toute simplicité : restes de pancake du matin, patates douces bouillies, nouilles japonaises au sarrasin et poêlée tofu-oignon sauce au gingembre.
Ça devient lassant d’écrire « superbe étape le long de rivières turquoises » mais on fait une superbe étape le long de rivières couleur lapis-lazuli. J’adore ce mot « lapis-lazuli », on dirait le nom d’une planète lointaine.
- Lieutenant, mettons le cap sur Lapis-Lazuli !
- Mais, Commandant, cette planète est infestée d’ignoble Trugoulfe !
- C’est quoi ça encore ?
- C’est pire que des Vietnamiens dans un karaoké
- Ok, cap sur Shikoku alors ! Armement des toboggans !
- Armement des quoi ?
- Laissez tomber lieutenant, c’est une vieille blague terrienne

Après une bonne montée et une cannette de café offerte par un automobiliste, on s’arrête sur une aire de repos pleine de motards. Ils ont des super engins ici : de belles Harley-Davidson et beaucoup d’anciennes Kawasaki et Honda très vintages.
L’ancien Fred adore les motos mais le Green Fred, ce connard bobo, les dénigrent : encore un joujou onéreux, bruyant et dangereux qui brûle du pétrole pour rien. Mais la vérité c’est que pour le prix d’une Harley moyenne, on peut voyager 2 ans à vélo. Le choix est vite fait. Rien qu’avec le prix de l’assurance, on se paye 2 belles paires de roues par an. Et même, soyons fous (et cons), des Marathons Plus, le luxe totale ! Bon, j’cracherai pas sur un p’tite 883 si on m’en donne une, faut pas déconner. Mais avec le plein hein !
Un stand vend des brochettes de viande grillée. Y’a du lard donc impossible de résister.
On arrive en début d’après-midi dans un grand parc en bord de rivière où l’on peut camper gratuitement (et légalement). Des japonais pique-niquent en famille, c’est champêtre. Ils regardent les 2 gaijins qui vont se rincer dans l’eau glacée. Pour me changer les idées, j’écoute un podcast sur Poulidor, passionnant.
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24/04/17 … – avant Shimanto = 81 km / +820m
Le spot pour la tente était bien choisi et le soleil a vite fait de nous réchauffer après une nuit très fraîche à nouveau. Une fois n’est pas coutume, on allume le téléphone pour voir les résultats du 1er tour et un message laconique de ma génitrice fait tout de suite tomber le couperet : la raciste VS la tête de gondole. Paf dans la gueule.
On est très triste. Mais respectons le choix du peuple, respectons la médiocratie… heu pardon la démocratie. Le peuple a fait le choix des médias, respectons ce choix.
Donc Le Pen VS Macron, le repli sur soi VS la marionnette au service de l’oligarchie et du statu quo.
Mais c’est génial en fait ! Avec Ophélie, on avait tellement peur de ne pas reconnaître notre pays en rentrant, là on est rassuré ! Là on est sûr que personne ne va toucher à l’égalité sociale, à la démocratie ni à l’écologie. Super ! Les riches vont pouvoir continuer à amasser encore plus sur le dos de ces cons de prolo et de( ces pitoyables classes moyennes, très très moyennes. Et franchement, tout ces acquis sociaux débiles qui empêchent la France d’être aussi compétitive que le Bangladesh, il est temps de faire place nette ! Des fous prétendent que les gains de productivité et les progrès techniques devraient permettre de ne travailler que 20h par semaine, grand max. N’importe quoi !! Ils doivent servir à augmenter les dividendes versés aux braves actionnaires ! Point barre ! Si on commence à répartir les richesses, c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres ! J’ai pas raison ?
Les financiers et les économistes vont continuer à diriger le pays, on peut leur faire confiance, ils ont fait leur preuve ! GE-NIAL !
Alors on entend des insoumis, des défenseurs d’un potentiel tyran, d’un dictateur, d’un Staline gaulois, on les entend dire (liiiiisssste nuuuuuméroooootéééééeeee !!!) :
- Heu ouais mais c’est quand même à cause des financiers qu’on a connu une crise financière non ? ===> non, c’est à cause des bougnoules qui touchent le RSA et des ouvriers qui prennent trop de pauses. Sans parler des intermittents du spectacle qui ruinent la nation.
- Le banquier n’avait même pas de programme avant de démarrer sa campagne, il a des principes et des idéaux ? ===> Hé ho, espèce d’anarchiste, on fait du business là, laisse faire les grands, va jouer à la Wii.
- Et les entreprises qui délocalisent, ne payent pas d’impôts et versent plein de dividendes et de stock option, c’est normal ? ===> ha ha ha, saleté d’insoumis, tu ne comprendras jamais rien à rien à la compétitivité. On ne va tout de même pas filer des tunes à ceux qui font tourner les boîtes, si ?
- En 2002, c’était un choc de voir le FN au 2eme tour, là c’est normal ? ===> oui oui, pas de soucis, démocratie. Ne retenons surtout pas les erreurs du passé.
- Heu, mais ça choque personne que 1% des plus riches possèdent plus de la moitié du patrimoine mondiale ? ===> non, sale bolchevique, c’est dans l’ordre des choses. Les riches méritent d’être riche, et même encore plus.
- Et la planète sinon ? Les enjeux climatiques, tout ça tout ça, on fait quoi ? ===> Rien, on verra plus tard petit hippy ridicule. Il faut d’abord penser printemps : un beau pré verdoyant (impeccable grâce au fabuleux Round-up de Monsanto), des fleurs de lys et plein de mouton broutant paisiblement. Avec de la merde plein les yeux.
- Et le vent de l’insoumission, vous le sentez ? Vous n’avez pas peur qu’il ébouriffe vos moutons et qu’il arrache vos putain de fleurs de lys ? ===> Sécurité !! Sécurité !! On a un terroriste !! État d’urgence, vite !

dans 5 ans, le bout du tunnel !
Nous, ce vent insoumis, on l’aime bien, il nous souffle dans le dos et on se fait une belle petite étape encore avec de l’océan puis une grimpette nous dévoilant toutes les nuances de vert pétant.

En cours de journée, le temps devient très menaçant et la pluie tombe lorsqu’on fait nos courses au supermarché. Alors on prend notre temps et on achète plein de cochonneries. La pluie cesse, on repart et on monte la tente in extremis dans un parc avant que la pluie ne s’abatte à nouveau.
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25/04/17 … – Tosashimizu = 73 km / +500m
Les nuages menacent toute la journée à nouveau mais on arrive sec au camping visé. Demain la météo annonce une nouvelle journée complète de pluie. Plein de bouffe => OK. Abris => OK. Le soir, 2 vieux débarquent, ils parlent un peu anglais et on papote longtemps. Ils ont 73 et 67 ans, ils campent à la dure et se font des randos à pied, impressionnant. Ils nous offrent une boîte de chocolat, de quoi tenir durant la triste journée du lendemain.
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26/04/17 Pluie totale
La fin du monde, il flotte pendant plus de 16h d’affilée. Le chocolat n’a pas duré longtemps, ni la batterie du netbook après 2 films sous la tente. J’en profite pour nettoyer les chaînes à l’essence, on aura l’impression de rouler sur des vélos neufs ensuite. Premier nettoyage en près de 5000km, c’était pas du luxe.
On n’est pas trop d’accord avec la pluie, on est même plutôt contre. Ou alors pas là où on est.
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27/04/17 … – Ainan = 73 km / +690m

Beau temps de retour, on overkiffe et la route continue de port en port. On file 40 km vers le ferry et pique-niquons en attendant le départ pour l’île de Kyushu, affiché à 16h. On arrivera de nuit à destination mais on est rodé maintenant. Mais alors qu’on attaque le yaourt, en plein touillage du sucre, un gars de la compagnie se pointe et nous explique que le bateau a un soucis technique et qu’il n’y a plus de traversée pour les 3 prochains jour. Ophélie est bouleversée, c’est quelqu’un de très organisé, même en plein touillage de sucre. Alors je la laisse manger du chocolat . Moi, je ne suis pas contre le fait que Shikoku nous retienne encore un peu plus, et le prochain port n’est qu’à une centaine de kilomètres vers le nord.
On remonte sur les vélos et prenons la route côtière à la place de l’axe principal, plus direct. J’aurais dû zoomer un peu sur le GPS, j’aurais deviné que ça allait être sport : on passe 15 km sur des montagnes russes avec nombreux passage au-delà de 10%. Ophélie se souviendra longtemps de ça et me ressortira souvent « tu me fais plus le coup de la route 7 hein ?! ». J’avoue que c’était dur, surtout qu’on était censé faire la sieste dans un ferry, à la base.
En fin d’après-midi, on se trouve un parc en pleine ville avec toilettes-pour-se-laver -discretos-en-calbart-préviens-moi-si-quelqu’un-arrive. Des joggeurs passent en nous disant bonjour et le gardien vient nous dire que c’est interdit de camper. On fait ceux qui comprennent pas et on passe une nuit tranquille. Sauf quand une fofolle vient nous réveiller super tard (21h30) pour nous inviter à prendre une douche chez elle. C’était assez bizarre mais sympathique.
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28/04/17 … – Seiyo = 78 km / +870m
Longue étape entre mer et montagne, usante pour les cuisses. C’est jamais plat et 6% est le tarif minimum. Heureusement qu’il y a beaucoup de tunnels à travers ces pentes escarpées sinon on y serait encore. On croise nos pèlerins qui vont de temple en temple autour de Shikoku, avec leur chapeau traditionnel, le bâton gravé et le gilet blanc. C’est le St Jaques de Compostelle japonais, des gens viennent du monde entier pour le faire, on a croisé quelques bouddhistes occidentaux.
On fait la pause déjeuné (celle entre le 2eme gouter du matin et le 1er gouter de l’après-midi) sur une aire de repos et on digère avec les pieds dans une source d’eau chaude à l’entrée d’un onsen. Y’a même des petites serviettes pour s’essuyer. De discrets haut-parleurs diffusent une musique zen traditionnelle, la même que dans Zelda. Je détestais ce jeu, je finissais par tuer des poules au bout de 10 minutes.

Comme souvent, on vise le bord de mer pour bivouaquer mais c’est l’échec cette fois et on se tape 4 km de détour et 2 bonnes grimpettes pour rien, on est lessivé. Alors on continue et on finit par trouver un spot au calme, en plein champs, juste avant le coucher du soleil.
On est bien, on se fait la tambouille et on s’apprête à aller se mettre au chaud quand un gars accompagné de son fils vient garer sa bagnole juste à côté de notre tente. Que… Quoi… ? Mais il peut pas aller ailleurs bordel, on est en plein champs, loin de tout ? Comment elle va faire pour aller pisser Ophélie ?
Le gars sort et nous explique qu’il va y avoir un feux d’artifice ce soir et qu’on est aux premières loges. Génial, le coup de pot ! Vraiment, on pouvait pas avoir mieux pour notre dernier jour sur Shikoku.
Donc, en effet, plein de voiture débarquent et viennent se garer derrière, surréaliste.
On attend un peu, en se disant que ça va être un petit truc mignon, surtout pour des habitués des Nuits de Feu de Chantilly. Et BADABOOOUUUMMMM ! Superbe spectacle de 20 minutes avec des explosions impressionnantes faisant écho dans les montagnes !
Y’a des jours ou tu te dis que tu passerais bien toute ta vie sur un vélo, et des jours comme ça, on en a beaucoup au Japon.
Attendez un peu de voir l’île de Kyushu, un feu d’artifice de paysages et de chaleur humaine. Avec quelques bières et des motards pour commencer.
Les Animaux de la route
Ça faisait longtemps, n’est-ce pas ? Bah c’est qu’on manquait de sujets intéressants et je n’allais quand même pas pousser le vice jusqu’à les écraser moi-même. « Éclater » serait probablement le terme le plus approprié. Et figurez-vous que des amis cyclos m’ont carrément envoyé des photos ! Toujours avec un p’tit mot gentil, du genre « tiens, on a pensé à toi ! », sous-entendu : « mets la photo sur ton blog, le notre est lu par des écoles et des maisons de retraite, faut que ça reste clean ».
Donc on commence en douceur avec la photo de Coco et Lolo, prise en Espagne entre Bilbao et Madrid : un vautour de belle envergure
Ouais elle est naze, je me serai certainement arrêté pour prélever une belle plume mais je n’aurais même pas sorti l’appareil photo, ça manque de couleur, on ne sent pas l’impact. Je dirais même que ça manque de vie. Peut mieux faire. J’attends du lourd de votre part les amis : du lama décapité, du chien en bouilli, de la vigogne en charpie ! Vous êtes en Amérique du Sud, une terre d’espoir et d’opportunité que diable !
Enchaînons avec la photo de nos Fatbikers Marie-Line & Jeremy, prise au Vietnam :
Là y’a de l’impact, du mouvement ! Là c’est beau ! Un simple poulet, sans fioriture, j’adore. Bravo ! Est-ce l’empreinte de vos gros pneus qu’on voit sur la chaussée ?
Et on finit par la mienne, un classique de la catégorie « peau retournée » : de l’impact, c’est certain, mais je pense que le corps a été déplacé, chaussée bien trop propre.

Alors chapeau à celui ou celle qui arrive à trouver l’animal à l’origine de ce chef-d’œuvre.
Par chance, nous en avons vu un autre dans un bien meilleur état quelques jours après. Il n’était pas encore mort mais pas loin, je reconnais que ça faisait mal au cœur, il aurait fallu l’achever

C’est un Tanuki, ou chien viverrin, ou encore chien raton-laveur (les vrais raton-laveurs ont des doigts et non des coussinets). Un canidé qui hiberne. Pas bien réveillé au printemps, il a tendance a traverser la route sans regarder. Et paf le chien.




J’étais en train de réparer une crevaison sur mon pneu increvable quand un papier froissé est venu rouler jusqu’à mes pieds. Intrigué,je l’ai dépliai. Il s’agissait du mode d’emploi d’un dérailleur, le truc utile car tu sais jamais quelle vis il faut toucher pour régler l’bousin correctement. Bref, à l’intérieure il y a avait quelques lignes inscrites d’une main tremblante, tout portait à croire qu’elles avaient été écrite grâce à un rayon trempé dans un mélange de sang et de cambouis :



